Il est bien difficile de définir ce livre de Stefan Zweig. Ce n'est pas tout à fait une biographie. On n'y trouve même pas le prénom et la date de naissance de Hölderlin. Mais est-il vraiment indispensable qu'un livre soit préalablement défini classé et étiqueté d'après les catégories littéraires établies par les éditeurs? Sans doute, mais il y a des œuvres qui ne se prêtent à aucun classement et échappent aux règles traditionnelles.
Dans cet ouvrage, on retrouve le souci pédagogique de Stefan Zweig qui dans sa préface, explique au lecteur le choix de Goethe comme référent, pour sa patience et sa méthode ainsi que pour la lente accumulation des bienfaits de son génie. Enfin pour son calme, sa stabilité mentale et sa capacité à se situer objectivement dans le monde.
L’auteur Viennois s’inspire de Plutarque – l’ancêtre de la biographie historique – qui comparait parfois plusieurs personnages en considérant que cette méthode enrichissait le récit.
On peut considérer que cette mise en perspective de diverses personnalités permet d’aller plus loin dans l’analyse et fournit une compréhension plus fine des aspects psychologiques.
Ainsi Zweig explore les personnalités avec minutie et dextérité. L’analyse est clinique, chirurgicale, bien servie par sa fascination pour Hölderlin, Kleist et Nietzsche.
De plus, des subtils filtrages et tamisages ont permis à Zweig de recueillir une matière artistique épurée et authentique.
Stefan Zweig adopte une posture de conteur et offre dans cet ouvrage singulier et épique, la poignante tragédie que fut la vie du malheureux poète allemand Hölderlin. Zweig le place sur le même rang que Shelley et Byron alors qu’il est encore tout à fait inconnu. Ses œuvres sont restées enfouies dans les bibliothèques, portant un numéro de fascicule avec l'abréviation ‘Mept’ pour manuscrits.
Zweig indigné écrit : « Et là, les manuscrits moisissent dans l'ombre, car les professeurs de littérature, ces indolents administrateurs de l'héritage du génie, les feuillettent à peine une fois en un demi-siècle. Ils sont tenus pour illisibles, comme l'expression du délire, comme la manie d'un monomane, comme une curiosité, qui, pendant de longues décennies, n'inspirent à personne l'envie de s'empoussiérer les doigts au contact de ces pandectes délaissées. »
La vie de ce poète fut épouvantable. C’est un long et atroce calvaire qui le mène dans un abîme et provoque son aliénation mentale. Et pendant prés de quarante ans, Hölderlin qui a perdu la raison, a conservé intact son génie poétique et continue d'écrire des chefs d'œuvre.
Ainsi écrit Zweig, Hölderlin est peut-être le seul cas clinique où le génie poétique subsiste après le déclin de la raison et où une œuvre absolument parfaite prend naissance du néant !
Guy Gabriel Ouazana